Le Fond et La Forme

Edan

Ecrit par : LF&LF

Personnage atypique de la scène indé hip hop (si cette dernière rime encore avec quelque chose d’autre que capitalisation), Edan se balade de show radio en estocade live, démontrant que les battle rhymes de Percee P et Lord Finesse étaient à l’époque ce petit truc à ne pas manquer. Qu’on ne s’y méprenne, ce n’est pas un voyage à travers les âges, affublé de quelques bandes de velcro et synthés 80 bigarrés qu’Edan et Dahga nous proposent. Rencontre avec ce duo excitant qui se fait pourtant rare en France.




A l’heure où beaucoup découvrent que le mot qualité peut être la quintessence du hip hop d’aujourd’hui, sans tomber dans le cliché du bobo en manque de sensation fraîche et entre deux “Casse toi Edan, on veut du lourd” de mes voisins, partons nous restaurer de quelques snacks en n’omettant l’adage “shoot dope lines first and ask questions later”…

LF&LF : Tu t’apprêtes à sortir Echo Party, peux-tu nous en dire plus ?

Edan : Tout a commencé grâce au label Traffic basé à Boston, qui a les droits sur tout ça. Ils m’ont approché en me proposant un mix à partir de ce catalogue, j’ai accepté tout en sachant que si je devais le rendre intéressant, il me fallait procéder différemment parce que tout le monde sait mixer, jongler entre deux disques… Pour vous dire la vérité, je trouve tout cela ennuyant donc j’ai décidé de jouer plusieurs instruments sur le disque et de le rendre ainsi propre à mon identité. Le label avait également en sa possession des multi-pistes de morceaux tels que Marvelous Three avec lesquelles j’ai décidé de déconner. En fait, j’étais pas très sur de vouloir réaliser le projet parce que pour se faire, il me fallait le produire en éditant et découpant bien plus que ce que je n’avais jamais fait auparavant mais j’ai appris à l’aimer et finalement je me suis décidé à le faire. Le projet en bref, était destiné pour quelqu’un d’autre que moi mais a évolué en ce quelque chose auquel je tiens beaucoup. Parmi les instruments joués, il y a de la guitare, du kazoo, des synthés et du xylophone… Ca devrait être pas mal à mon humble avis et plutôt dansant ce qui est nouveau pour moi, tout en gardant ma propre identité et crois moi ça a pris bien plus de temps que ce que je n’avais prévu !

LF&LF : J’ai entendu dire d’ailleurs que tu allais réaliser un album axé folk music …

Edan : A un moment ouais, mais je ne sais pas pourquoi tu utilises le mot “folk”. Je joue de la guitare et écris mes morceaux, on peut appeler ça “rock”, mélangé à d’autres influences… j’aime bien jouer de la musique blanche aussi (rires) Ayant dit cela, nous sommes tous les enfants du bon Dieu… j’essayais d’être marrant.

LF&LF : Dirais-tu qu’Echo Party est, par extension, une alternative à un second Beauty and the beat ?

Edan : Je dirais qu’Echo Party sera un très bon apéritif… Il se pourrait que la suite soit juste des compositions guitares. J’ai reçu beaucoup de compliments mais ne t’attends pas à une suite typique.

LF&LF : Qu’en est-il d’Insight, qui ne fait pas partie de la tournée ?

Edan : Insight est une personne très mystérieuse. Il vit en Allemagne depuis quelques années, je veux toujours faire de la musique et jouer en sa compagnie. Il est un peu comme un ermite… au même titre que moi mais plus encore. Je pense que nous nous réunirons bientôt et tournerons ensemble…. Un jour peut-être nous tournerons ensemble (se tournant vers Dagha)

LF&LF : Je note qu’être ermite est une de tes propres caractéristiques… tu ne sembles pas tourner autant que nous pourrions l’espérer ?

Edan : Eh bien, je ne sais pas trop… je vais là ou je veux et heureusement pour moi je ne suis pas dans un groupe donc je peux en faire moins et maintenir mon niveau de vie. Je n’ai peur de rien quant à jouer en live, j’adore ça au contraire. J’essaie de m’assurer que le spectacle soit de grande qualité, que je sois bien payé, et que je m’ennuie pas. Plusieurs facteurs sont donc en jeu, je pourrais tourner beaucoup plus mais je pense qu’à la fin je serais totalement épuisé. La place que j’ai maintenant est vraiment bien. Je ne joue que deux ou trois fois tous les deux mois, j’aurais aimé pouvoir rester un jour de plus en France mais je ne joue que trois fois ici… mais là encore le projet que nous jouons ensemble avec Dagha se suffit de cela, je reçois toujours des propositions pour jouer Beauty and the beat même si cet album a déjà 5 ans ! Je pense que cela est dû à toute l’énergie déployée une fois sur scène.

LF&LF : Ta performance sur scène te permet de pérenniser ton art en fait ?

Edan : En fait, je pense que les chansons en elles-mêmes ne sont plus importantes pour le public. Auparavant les gens avaient l’habitude de payer pour des disques, aujourd’hui tout l’argent est misé sur les licences pubs et cinéma… pour quelqu’un comme moi, disons que j’ai beaucoup moins d’opportunités de ce genre parce que je sample beaucoup.

LF&LF : Tu es parvenu à combler l’attente de tes fans en délivrant un Edan radio show sur le net, quelle a été la raison d’un tel projet ?

Edan : De la lassitude mec ! Juste de la lassitude… J’avais cette pile de disques qui jonchaient par terre. Je voulais juste partager des bonnes choses avec le public et les amener au fait qu’il existe une culture derrière tout ça, une culture de gens qui aiment la bonne vieille musique indépendamment du genre musical… et de savoir que quelque part il existe un petit gamin juif un peu étrange qui aime autant le pyché que l’afro beat ou encore le reggae… eh bien (rires). Plus sérieusement, je pense que tout cela fait partie intégrante de la vie en général, maintenant j’aime mélanger ces genres très différents, faire un mix plutôt sympa sans grande idée de structure juste jouer les morceaux d’une manière bordélique. Je voulais vraiment faire un show radio et Internet a rendu la chose possible.Maintenant c’est juste un hobby parmi d’autre. Une fois que j’aurai mon site, c’est peut-être quelque chose auquel je m’attarderai.

LF&LF : D’ailleurs il aurait été sympa de dresser un tracklisting parce qu’avec tous les delays utilisés…

Edan : Oh ouais je m’excuse vraiment pour ça.

LF&LF : En parlant de ça, pourquoi es-tu si attaché au delay ?

Edan : J’ai toujours aimé ça, le delay c’est comme un vocabulaire… comme de a peinture, tiens ! Si tu prends de la peinture rouge et que tu l’étales, cela aura un certain aspect mais si tu laisses la peinture dégouliner parce qu’il y a trop de peinture ou que tu dessines un cercle rouge et dessines un autre à l’intérieur en jaune puis encore un en bleu… tu vois dans le delay tout n’est qu’une question de choix et c’est toi qui décides ! Je pense que la manière dont Syd Barrett l’a utilisé m’ a beaucoup marqué ou aussi un genre musical comme le reggae. Le delay, tu sais, c’est le principe de la répétition d’un son en un point…. au même titre que les effets reverb et phasing… ouais je suis le maître du delay mec ! (rires)

LF&LF : Vous avez un job à côté de vos productions artistiques ?

Dagha : Je travaille dans une école privée à Boston ou j’enseigne le hip hop ainsi que la poésie, ces mêmes choses pour lesquelles je vis mec.

LF&LF : Et toi, Edan ?

Edan : Quand j’aurai cinquante piges et que je serai sans le sou mec ! Je ne veux pas encore le faire mais pour revenir au sujet de Dagha vous saviez qu’il écrivait sur les légumes frais et autres? (rires) J’aime les brocolis et c’est clair qu’ils ont l’air bon pour la santé ! Plus sérieusement, en ce qui me concerne je ne travaille que ma musique, en plus les choses ont été plutôt dures pour moi ces derniers temps, New York est devenu vraiment chère… en fait je suis parti de Boston pour une fille mais bon… (silence)

LF&LF : On te sait très attaché aux vieilles gloires du hip hop, si tu avais la possibilité de travailler avec l’une d’entre elles, qui serait elle ?

Edan : Je pense qu’il serait bon d’avoir Ghost Face ou encore GZA réunis sur un morceau, je reste très attaché au Wu-Tang. Il serait cool d’avoir Kool G Rap ou encore Rakim, Large Professor qui est un type vraiment gentil d’ailleurs. Il y a tellement de légendes avec lesquelles j’aimerais travailler, tout est possible si tu achètes cette collaboration, mais j’aimerais aussi travailler avec des inconnus ou encore tiens, Legend de Black Sheep. Je l’ai vu sur scène la dernière fois et c’était magique, ils s’étaient même mis à jouer un morceau avec trois fois trop de delay dessus ! C’est pour dire….

LF&LF : Quels seraient les 5 disques que tu pourrais conseiller quant à une bonne appréciation de la musique dite “rock psyché” ?

Edan : Bonne question ! Je dirais Dylan et sa poésie que je qualifierais de psychédélique, les Pink Floyd et leur Piper at the gates of dawn quand Syd Barrett était encore membre du groupe, Revolver des Beatles est un des plus grands albums jamais entendus pour moi, le Velvet opera d’Elmet Gantry -un vieux disque britannique des années 60-, le Kaleidoscope album de Tangerine Dream… beaucoup de groupes brésiliens aussi vont dans ce sens. En ce moment, j’aime beaucoup ce disque de Spectrum Geracao bendita. Ce sont les cinq disques à peu près auxquels je peux penser maintenant. Je fouille aussi pas mal dans les bacs de disques péruviens,coréens avec hi-6 et shin jung hyun… ça prend beaucoup de temps… J’aime ramener mes disques et jouer le sample original afin d’avoir des choses à faire sur scène. Si je possède ces disques et que le fait de les doubler en live prend sur scène alors ok, c’est plus fun de le faire. Sur Syllable practice, je m’amuse à jouer le sample de Battered Ornaments et la chanson Mental peace. Je garde l’original à la maison vu le prix qu’il m’a coûté, genre 80 dollars à l’époque, je prends donc quatre copies du disque au cas où je les fusille.

LF&LF : On a eu l’étrange impression que tu imitais Jonatha Richman sur scène ?

Edan : Je l’aime bien oui, mais je ne pensais pas à lui en faisant cela… l’autre jour à Paris, il y a eu tellement de rappels que j’avais plus rimes et j’ai donc décidé de leur chanter une chanson de Lee Hazlewood… je sais que ma voix est pourrie mais les gens ont applaudi tout de même.

LF&LF : Quelle est la fiche technique de ton studio ?

Edan : Eh bien, un 16 pistes akaï, une mpc 2500… l’album Beauty and the beat a été produit avec une 2000, deux platines, une table de mixage, un mini moog, echo plex, space echo… je n’utilse pas vraiment pro-tools ou rien de ce genre d’ailleurs. Je n’aime pas passer du temps devant de l’écran… Le seul problème avec tout ça c’est que les boutons de mon akai ne marchent pratiquement plus donc j’ai dû trouver une méthode pour remplacer la fonction enregistrement : je dois enfoncer le bouton avec une pédale. C’est super facile (rires) C’est comme une seconde nature chez moi. J’utilise même des verres remplis d’eau que je frappe avec des cuillères…

LF&LF : Tu sembles très attaché à la notion de passé, comme “une seconde nature”, c’est ce que tu disais justement…

Edan : Tu sais, je pense que le monde bouge bien trop vite pour nous et il est bon d’apprécier ce que l’on a (déjà). Ayant dit cela, si quelqu’un utilise la technologie et la rend profitable au reste de l’humanité alors pas de problème… mais si cela nous rend plus faible alors il nous faut la questionner. C’est tout bêtement le principe du phonographe, on capture ces choses du passé et tissons un lien avec ces âmes lointaines. Je veux dire ces gens brillants qui ont travaillé dur sur des choses qui l’étaient tout autant. Etre capable de garder cela intact et de le ramener vers nous est une des meilleures choses jamais inventées. Quand tu écoutes un disque de Billie Hollyday, tu ressens ce petit quelque chose de spécial… que tu ne peux ressentir maintenant. Et parfois nous avons juste besoin de ça. Comme cette unique opportunité de panser une blessure… Maintenant, je ne me considère pas comme coincé dans le passé ! J’essaie juste de jeter le mauvais et de n’en tirer que le bon. Parfois les bonnes choses sont vieilles de 500 ans et les déchets sont faits aujourd’hui. Un jour, avec toute la connaissance que nous aurons tirés du passé, nous sauverons notre existence.

LF&LF : Je pense que nous n’avons encore rien appris du passé pour le moment

Edan : Ouais… disons que tu passes par une phase difficile comme une rupture ou autre… ce que tu dois réaliser c’est qu’il y a déjà eu auparavant des millions de gens dans ce cas dont des millions de chansons sur le sujet ont été écrites. Tu penses que cette relation est horrible mais la question que tu dois te poser est combien de gens ont vécu exactement la même chose ? Cet exemple doit te servir à te dire que ces leçons que nous avons apprises du passé l’ont déjà été auparavant. Le passé est un guide dont certain pourrait ne pas avoir besoin…

LF&LF : De combien de disques disposes-tu et parmi ces derniers peux-t-on y trouver des choses dîtes “nouvelles” ?

Edan : Je ne sais pas, j’ai à peu près 10 000 exemplaires… mais aujourd’hui je n’écoute pas grand chose, tous les “nouveaux sons” sont les mêmes, à la première écoute tu peux déjà dire quel clavier ils utilisent, dans quelle configuration studio ils bossent. La plupart des disques qui sortent aujourd’hui révèlent le calcul financier qui en découle. Tu entends plus le marketing que l’inspiration… Corrige moi si j’ai tort mais le dernier Q-tip est très bon… Je l’ai vu d’ailleurs, il était dans un magasin de disque dans mon immeuble, je descendais les escaliers et il les remontait. En fait un de mes voisins est fournisseur de disques. Q tip a un club appelé le Santos qu’il anime une fois par semaine et il y laisse mes potes de Big city records jouer donc il m’a demandé de venir aussi… Bref, à ce moment là, j’ai réalisé à quel point il était bon de rencontrer ces mêmes gens, adorables qui produisent ces disques de qualité parmi d’autres que je respecte mais que soyons honnête je n’aime pas artistiquement. Je pourrais te citer Busta Rhymes ou encore Method Man… je me souviens avoir vu un concert du WU où tu sentais vraiment la vibe redescendre, les Mc’s s’ennuyaient… heureusement Method Man a su redynamiser ses troupes en stoppant carrément le concert et en gueulant : “C’est pas possible et pas acceptable ce que l’on fait là !”.

ITW : Nico S. & Phara (hiphopcore.net)
Photo: Benjamin Ségura

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